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Chapitre 3. Vacances de Noël : où en est-on ?

mardi 12 janvier 2010

Les élèves des douze CP ont donc démarré l’année avec Je lis, j’écris. En utilisant d’abord des photocopies. Début octobre l’ouvrage arrive : ses dimensions, sa beauté impressionnent. A la surprise heureuse de certains d’entre nous, la plupart des enfants, qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée, sont sensibles à son esthétique. Ils éprouvent le sentiment d’être pris au sérieux et ramènent fièrement le livre chez eux…

On pourra prendre connaissance dans les chapitres suivants des épisodes marquants du déroulement des apprentissages. Ici, dans ce coup d’œil initial, allons directement au résultat. Et, pour commencer, faisons le point à la fin du premier trimestre : au moment où plus de 50 000 parents chaque année, prenant conscience que leur enfant ne déchiffre toujours pas l’étiquette de la boîte de cacao du petit déjeuner, décident de prendre eux-mêmes les choses en main et se précipitent chez le libraire du coin pour commander la méthode Boscher (1906).

Quatre questions pour ce premier bilan d’étape : au terme des treize premières semaines de l’année scolaire, où en est-on dans le déroulement des leçons ? Comment se passe l’apprentissage du déchiffrage ? Celui de l’écriture ? Et qu’en est-il de la compréhension des mots et des textes ?

Le rythme d’avancement

Il est assez homogène d’une classe à l’autre : la dernière leçon traitée dans le trimestre se situe toujours entre la 14 et la 18. Il est un peu plus rapide là où la proportion de familles favorisées est plus élevée (Myriam, leçon 17) et dans les classes les moins chargées (Christa, leçon 18, Josie, leçon 16) ; il est naturellement un peu plus lent dans les classes les plus nombreuses et au public plus populaire. D’autant que dans ce dernier cas les collègues peuvent délibérément décider de ne pas avancer trop vite pour bien assurer les bases du lire-écrire.

Deux remarques à ce propos. La progression a été lente dans les premiers temps : à peine une leçon par semaine, loin de la moyenne de deux leçons hebdomadaires prévue sur l’année. Mais le rythme va désormais en s’accélérant, précisément parce que les fondamentaux sont assurés. Cette modération de l’allure n’a pourtant pas permis de respecter à la lettre ce principe affiché par Je lis, j’écris : on ne passe à la leçon suivante que lorsque le déchiffrage de la page est au point pour tous les élèves. Il y a toujours, dans chaque classe, un ou deux élèves qui ont besoin de plus de temps d’entraînement, tandis que les autres continuent à avancer. L’intérêt pour autant du principe, c’est qu’il rappelle en permanence que ces élèves-là doivent eux aussi au bout du compte rentrer pleinement dans le lire-écrire.

Le déchiffrage

Tous les membres du collectif avaient décidé de respecter scrupuleusement un autre principe de base de Je lis, j’écris : l’accès au sens passe par la qualité et la précision du déchiffrage. Et dans bien des classes le rappel à l’ordre : « N’invente pas ! Regarde ce qui est écrit ! » est devenu un leitmotiv de la conduite des apprentissages. Résultat : tous les élèves sans exception ont bien intégré le processus de la lecture : je déchiffre/je relis comme on parle/je comprends (ou je demande la signification de ce que j’ai lu). (Il arrive que l’accès au sens (phase 3) précède la lecture fluide (phase 2) : « é-nor-me… Ah : énorme ! »). Et tous ont bien compris que le déchiffrage impliquait la plus grande attention à la ponctuation et aux accents.

Au terme du premier trimestre, le niveau d’habileté atteint diffère bien sûr d’un élève à l’autre. Selon l’évaluation des douze collègues, 40 % de leurs élèves, en moyenne, ont une lecture « fluide » ; 44 % « avancent normalement mais le déchiffrage est encore plus ou moins hésitant » ; 9 % « sont en retard sur le gros de la classe mais progressent régulièrement » ; 5 % « sont en difficulté sérieuse, avec des progrès irréguliers » ; et les derniers 2 % « ne sont pas encore entrés dans la lecture ».

Ces chiffres donnent un ordre de grandeur moyen et les catégories demandent à être affinées. Ce qui est « fluide » pour un maître le sera moins pour un autre ; et le degré et la forme de lecture « hésitante » varient d’un élève à l’autre. On peut aussi lire ces données comme suit : 93 % des élèves sont bien entrés dans la lecture, 84 % avançant normalement et 9 % un peu plus lentement. Restent 7 % d’apprentis lecteurs en difficulté, dont 2 % en difficulté vraiment sérieuse : la question de conditions d’apprentissage particulières, voire d’une aide extérieure, se pose pour eux. On sait que les conditions de travail des collègues ne permettent pas toujours de donner la réponse la plus satisfaisante à cette question, et que la collaboration avec un maître surnuméraire ou des maîtres RASED reste parfois un idéal. Pour certains d’entre eux on peut penser que l’intervention d’un orthophoniste ou un travail en CMPP peut s’avérer utile voire indispensable. On n’oubliera pas pour autant que dans bien des cas l’entrée dans le lire-écrire est susceptible de jouer un rôle extrêmement positif dans la correction des troubles du langage, au lieu que cette dernière soit une condition préalable des apprentissages du lire-écrire. Quoi qu’il en soit, on prêtera une attention particulière au devenir de ces élèves qui ont plus de mal que les autres dans les mois qui viennent.

L’écriture

Autre principe de Je lis, j’écris : l’apprentissage de l’écrire va de pair avec celui du lire. Tous les collègues l’ont d’ailleurs constaté : le temps que les élèves passent aux exercices d’écriture contribue très significativement (et c’est logique !) à l’intégration mentale de la forme des signes graphiques, donc à l’aisance du déchiffrage… et donc à l’accès au sens ! Une bonne entrée dans le monde de l’écrit suppose une mobilisation conjuguée de la vue, de la parole, de l’ouïe, de la posture du corps, du geste et de la main : et une circulation constante de l’activité entre tous ces pôles. Ce programme paraît respecté dans toutes les classes du collectif. Un gros travail est fait autour des dictées, même si les phrases proposées dans le manuel paraissent parfois un peu longues ; et une attention particulière est apportée aux exercices d’écriture des élèves « en difficulté », qui se signalent en règle générale par le mal qu’ils ont à distinguer et mémoriser la forme des lettres.

L’accès au sens

C’est sur ce plan que la syllabique est attendue. La question se pose de façon nouvelle dans le cas de Je lis, j’écris, car c’est ici l’ambition du vocabulaire et des textes qui peut paraître problématique.

L’introduction du manuel définit très précisément la procédure d’accès au sens par le triptyque déchiffrage/lecture fluide/compréhension : l’oralisation des mots permettant à l’apprenti lecteur de s’écouter les prononcer et par là d’identifier ceux dont il connaît déjà le sens ; et d’interroger le maître quand il ne les reconnaît pas. Mais que se passe-t-il si on lui propose un vocabulaire soutenu où la proportion des mots inconnus est significative, et des énoncés, phrases et textes, qui réfèrent à des situations qui ne lui sont pas nécessairement familières, ou dont la compréhension n’est pas toujours immédiate ?

Si la diversité du vocabulaire et la nature des textes ont décidé de l’adhésion au collectif de tel ou tel collègue, d’autres ont sursauté en les découvrant. C’est notamment le cas là où l’immigration récente est fortement représentée parmi les élèves. Ainsi Judith, qui compte plusieurs élèves venant de familles qui conjuguent analphabétisme et ignorance du français, indique dans un entretien réalisé en décembre qu’au départ le niveau du vocabulaire l’avait laissée perplexe, sinon réticente. Chloé se rappelle pour sa part : « C’est vrai que la première fois qu’on a ouvert le manuel, entre nous trois, on s’est dit : ‘Ouh là là !’ ‘Au secours’ même ! ».

Trois mois et demi après, tous les collègues sans exception sont frappés par les capacités de progression linguistique que montrent leurs élèves, ainsi que par le plaisir toujours renouvelé qu’ils trouvent à explorer le monde des mots : beaucoup ne s’y attendaient pas vraiment. Myriam raconte : « On vient de découvrir le v avec la leçon 15 : « vacarme » et « Vassili » ont fait un tabac. Ils adorent les mots nouveaux qu’ils ne connaissent pas. Ils aiment les entendre comme une musique pour leur sonorité. C’est eux qui demandent le sens des mots qui leur sont inconnus : ils le font très volontiers. Ensuite ils cherchent des phrases avec le mot qui leur plait. »

Certes quand une partie des élèves ne maîtrise pas, ou mal, le vocabulaire français de base de la vie courante, le temps que l’on doit consacrer à la compréhension paraît parfois lourd. Ainsi Judith : « Je lis au moins deux histoires par jour. Je choisis des choses un peu difficiles, mais parfois il faut s’arrêter à toutes les phrases pour expliquer et ça fait un effet de lassitude (…) je lis des contes sans images pour qu’ils soient vraiment à l’écoute de la langue, et on dessine, on réexplique, mais ça reste difficile ». Pour autant comment éviter d’affronter cette difficulté si l’on veut que l’école puisse jouer son rôle de compensation des inégalités socioculturelles ? Et à l’expérience, la difficulté finit par être surmontée. Inès, dont le public d’élèves est tout à fait comparable, note pour sa part : « Le niveau d’exigence, je trouve ça intéressant. Dans la mise en place de la classe, ça prend du temps. Mais ça plaît aux élèves, ils cherchent, on discute… ». Et elle observe : « J’ai le fils d’une collègue dans ma classe, au début la méthode lui paraissait dure, avec tous ces mots qu’il ne connaissait pas, et maintenant elle s’étonne qu’il arrive à les lire et les comprendre ». Chloé rapporte les propos d’une mère d’élève « contestataire », qui parle au nom des parents : « On a tous été impressionnés au début par le vocabulaire, et finalement ça marche bien ! »

Si la difficulté finit par être surmontée, quand l’aide nécessaire est fournie, c’est que le désir d’apprendre et le plaisir de comprendre permettent de soutenir l’effort requis. Laissons le dernier mot à Chloé : « Ils adorent les pays du monde, et notre projet d’école c’est sur les arts donc on va utiliser Je lis, j’écris, ça tombe impeccable. Vraiment on est très contentes [ses deux collègues de CP et elle]. Même, ça nous force à utiliser des mots qu’on aurait jamais utilisés avec des CP. On a haussé le niveau de vocabulaire, les enfants suivent et ils adorent ça ! Et ça nous tire tous en avant… ».

Conclusion provisoire

Ce que nous retenons au bout du compte de l’expérience de ce premier trimestre :

1/ Une progression générale et très satisfaisante des capacités de déchiffrage. Myriam note à ce propos : « Les collègues qui font l’étude sont étonnés du nombre de mots que mes élèves sont capables de lire en lecture fluide. Une instit de CE1 les compare avec son propre gamin qui est en CP et fait beaucoup de « lecture » par cœur. Elle déplore la pauvreté des textes des manuels qui se veulent au plus près du quotidien. Elle dit que Je lis, j’écris prend les élèves au sérieux ». Josie pratiquait de longue date une méthode mixte à départ global. Elle note : « Avec je lis, j’écris, ça change complètement. Les enfants sont mis d’emblée, tout de suite, dès la rentrée, devant l’acte de lire. Dès les premières séances ils lisent vraiment ce qu’ils ont sous les yeux. Avant ils devaient s’aider du sens de l’histoire lue par la maîtresse avant de mémoriser les mots. Ils étaient portés par le sens et pas par l’écrit ; ils faisaient donc semblant de lire. Je pensais qu’il fallait travailler avec le sens des histoires. C’était par opposition à la mièvrerie confondante des manuels de la syllabique qui n’ont pas de sens. Je pensais que retarder l’apprentissage du déchiffrage facilitait les choses pour les élèves en difficulté. Je vois maintenant qu’au contraire, l’affronter tout de suite est un avantage ».

2/ Comme on vient de la voir, cette rapide progression des capacités de déchiffrage s’accompagne d’un élargissement sensible du lexique et des connaissances, et maintient intact le plaisir d’apprendre… Et les élèves ont bien intégré la relation intime entre le signe écrit et le sens : il n’y a pas pour eux d’opposition entre un déchiffrage qui serait pénible et fastidieux, et une sphère lumineuse où l’accès au sens s’offrirait à leur entendement subjugué. Par exemple : « Ils sont très curieux de la ponctuation. Ils demandent (leçon 15) : « La pie (…) elle s’échappe… » pourquoi il y a trois points ? Hier, au point virgule : « combien de temps je m’arrête ? » (Josie).

3/ Je lis, j’écris introduit une dynamique qui engage les collègues à modifier leurs habitudes d’enseignement et d’animation de la classe. Nicole : « Ce manuel nous fait bouger dans notre démarche. On donne les bases aux élèves, on leur dit qu’on ne devine pas. Quand on s’est trompé, on reprend lettre par lettre, son par son, ils y arrivent. C’est génial, rassurant ». Et, sur un autre plan, Josie, encore : « Je craignais de trop priver les élèves de la littérature avec la syllabique. C’est le contraire qui s’est passé. J’ai décuplé les séances de littérature. Mais je fais maintenant une séparation nette entre l’apprentissage du déchiffrage et les séances de littérature où je leur lis des textes qui développent la pensée, le plaisir de la littérature. Donc on va à fond dans les deux domaines. Et du coup on ne fait plus d’exercices. On ne fait plus de séances de sons, les sons on les fait en même temps qu’on lit. On fait de la copie, de la dictée et ils poursuivent les histoires. Ils ont été très fiers de pouvoir lire l’histoire de la leçon 14 et ils ont dicté une histoire où la pêche n’est pas ratée ! ».

4/ Ces résultats concernent aussi bien les élèves typiquement promis par la statistique à l’échec scolaire (qui sont de toutes façons ici en grande majorité) que les autres. Il ne semble pas d’ailleurs que les écarts de progression selon le milieu social apparaissent exagérément marqués. C’est là un aspect des choses auquel les auteurs de Je lis, j’écris sont particulièrement sensibles. Certes un tout petit nombre d’élèves ont du mal, voire beaucoup de mal : et les collègues n’ont pas toujours les moyens de les faire travailler comme il le faudrait. Mais ils parient que la plupart d’entre eux sauront quand même lire à la fin de l’année.

Les collègues du collectif paraissent décidés à continuer à travailler l’an prochain avec Je lis, j’écris. L’année paraît bien engagée.

Bilan à suivre à la fin de la prochaine étape, au moment donc des vacances de printemps.